janvier 17 2015

Liberté d’expression : glissement de sens

arton2119

Voici plus d’une semaine maintenant que les massacres des 7 et 8 janvier 2015 se sont déroulés à Paris. Dès les premières heures, la liberté d’expression a été brandie comme principe bafoué.

Pourtant, très vite cette évidence médiatique m’a mis mal à l’aise. Dans un premier temps, l’émotion à son comble, parce qu’elle était enrobée d’un discours religieux. Principe sacralisé, dogme intouchable de la démocratie, les caricaturistes assassinés en devenaient les martyrs. Dans un deuxième temps, parce que, il fallait bien s’en souvenir, je n’avais pas estimé leur combat juste lorsqu’ils avaient décidé de publier les caricatures danoises. Eux-mêmes s’étaient drapés dans ce droit à l’époque et cela m’avait gêné. Leur mort inacceptable ne rend pas cette auto-proclamation plus juste aujourd’hui qu’hier.

Le troisième temps, je l’espère, est celui de la réflexion. Il s’est fait en confrontations et ajustements mais j’espère avoir maintenant suffisamment d’arguments pour le partager.

Lorsqu’on est face à une notion qu’on a du mal à définir, parce que investie de trop d’enjeux contemporains, il peut être salutaire de s’interroger sur ses fondements. En l’occurrence, l’investigation de ce principe sur le plan du droit et de l’histoire m’a paru particulièrement éclairante.

En effet, si l’on se souvient du contexte du 18ème siècle qui a conduit à son éclosion, nous pouvons déjà mieux nous rappeler un fait essentiel : il s’agit d’un droit politique. Alors que jusqu’alors les détenteurs du pouvoir chassaient, emprisonnaient et/ou tuaient leurs opposants, certains imaginent qu’un nouveau type de régime pourrait voir le jour dans lequel l’expression de ses opinions serait garantie par le droit.

Cette précision est importante car elle permet de comprendre pourquoi liberté d’expression ne signifie pas liberté de dire n’importe quoi. Elle garantit l’expression d’opinions politiques, religieuses, artistiques ou autre éventuellement, du moment que l’on touche au domaine public, donc du débat argumenté, ce qui permet de refuser tout ce qui relève de l’insulte, de la méchanceté gratuite, de l’amalgame, des préjugés ou du règlement de compte. Ceci étant posé, la question peut évidemment être posée de la dimension artistique, informative ou politique du travail de Charlie Hebdo mais le débat me semble loin d’être tranché.

Le rappel, ensuite, du fondement légal de la liberté d’expression me semble également primordial. Tout d’abord, cela permet de rejeter le vocabulaire sacré et d’ancrer ce principe dans des conditions concrètes d’existence. Un droit n’existe que parce qu’il est garanti par des institutions et prétendre l’en sortir pour en faire un universel ne peut que l’affaiblir dans les faits. C’est ainsi, par exemple, que des dirigeants ne respectant pas le droit de leurs citoyens à la liberté d’expression ont pu se montrer solidaires de la manifestation du week-end dernier. Affaibli, vidé de sa substance, ce concept exsangue peut être repris par tous les sophistes du monde pour servir leurs propres intérêts.

Les périodes de deuil exigent évidemment la suspension des débats et ravivent le besoin de faire communauté. Le risque existe cependant que ce temps apolitique soit l’occasion d’un durcissement de la communauté en question autour de valeurs présentées comme culturelles. Un tel glissement de sens ne peut que servir les objectifs anti-démocratiques, chez nous en vivifiant l’idée d’une guerre de civilisation, ailleurs en délégitimant les aspirations démocratiques comme héritage d’un impérialisme idéologique occidental.

C’est pourquoi il est urgent de replacer le débat sur le plan politique. Si l’on ne peut nier l’érosion grandissante de la légitimité de nos représentants, s’il faut bien entendu rester à l’écoute de l’éclosion d’une nouvelle forme de participation aux débats et d’engagement de la société civile, seules les institutions peuvent actuellement prétendre offrir un traitement juste et équitable de tous et chacun. Je ne peux donc qu’en appeler les politiciens, qui sont sensés en être les représentants et les garants, à recommencer à faire de la politique.


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Ecrit 17 janvier 2015 par admin dans la catégorie "Actualité

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