décembre 30 2023

Mécanique de l’anti-wokisme

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Depuis que la panique autour du Wokisme s’est emparée d’une frange non négligeable du spectre politique, nombreux sont ceux qui, étant visés par ce qualificatif effrayant ou pouvant se sentir concernés, tentent de produire un contre-discours à opposer à cette offensive culturelle. Il a été rappelé qu’il s’agissait là d’une étiquette vide que personne ne revendiquait et dont l’objectif était de recouvrir sous le même terme inquiétant, car américanisant et nouveau, l’ensemble des revendications progressistes. Alex Mahoudeau l’a efficacement analysé en termes de panique morale capable de produire beaucoup de bruit pour rien. Pas évident, cependant, de donner du sens à des termes et une angoisse que l’on perçoit soi-même comme absolument sans fondement. C’est pourtant ce que je pense être enfin parvenue à faire avec la définition que je m’apprête à proposer ici, en espérant que cela sera éclairant pour d’autres que moi.

Afin de comprendre l’insistance à investir ce terme, non seulement d’un contenu idéologique cohérent mais également d’une menace qui planerait sur notre civilisation toute entière, sans doute faut-il commencer par se glisser dans la tête d’un angoissé du Wokisme et prendre la menace ressentie au sérieux, en laissant donc de côté l’aspect « stratégie politique gagnante » (servant de cri de ralliement aux cinquante nuances de la réaction) que l’on ne peut s’empêcher de percevoir depuis l’autre rive.

Si menace il y a donc, celle-ci repose entièrement sur la propagation d’une idéologie dite Woke, c’est-à-dire identifiant, au cœur du fonctionnement social, des rapports de domination dont certains bénéficient au dépend des autres. Ce poison culturel infecte les esprits et se propage de proche en proche dans tous les organes de la diffusion idéologique : les médias, l’enseignement et le militantisme. Nous voici au cœur d’une pensée purement idéaliste : ce sont les idées qui ont le pouvoir de changer le monde, les mauvaises idées peuvent donc se révéler extrêmement dangereuses.

D’accord mais pourquoi considérer les idées progressistes, c’est-à-dire d’égalité et de lutte contre la discrimination comme particulièrement nuisibles ? A moins d’avoir affaire à un Super Villain au dessein particulièrement cruel, il peut paraitre compliqué d’expliquer un tel positionnement. Pourtant, nous disposons déjà de tous les outils de compréhension nécessaires. Je m’explique : si ce sont les idées qui mènent la marche du monde, d’où peuvent bien provenir le Progressisme, le Wokisme, les aspirations à changer la société ? Les idées qui mènent le monde ne peuvent, par définition, que produire un monde qui leur ressemble et ainsi se perpétuer elles-mêmes à l’infini. Les idées critiques et de changement ne peuvent dès lors provenir que de l’extérieur, de l’étranger, et menacer la cohésion de notre identité culturelle. Une fois le vers dans le fruit, les dégâts peuvent vite se révéler irréparables.

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De fait, parler de Wokisme, c’est avant tout effacer les luttes, les souffrances vécues et les revendications des personnes concernées par la discrimination. C’est balayer d’un revers de main ces existences, ces expériences, l’histoire de leur pensée (sur elles-mêmes et sur leur situation) et de leurs combats, comme si elles aussi n’étaient que des idées, et en l’occurrence des erreurs de raisonnement, voire des importations étrangères (et en réalité souvent un peu des deux). Non seulement tous ces gens n’existent pas vraiment, si ce n’est éventuellement sous la forme d’un délire psychiatrique à traiter, mais ils sont des ennemis de l’intérieur, un membre gangréné qui met en péril la survie même du corps social.

Or, si l’avantage de l’idéalisme est de ne jamais avoir à regarder en face les conséquences concrètes des positions que l’on défend, les idées flottant dans les airs indépendamment de qui que ce soit, c’est bien là qu’aboutit sa course. Une fois le diagnostique posé, une fois la menace identifiée, qu’advient-il de ceux qui sont porteur du virus ? On les circonscrit ? On les rééduque ? On les expulse ? On les élimine ? Tout cela n’est que détail ! Qu’importe en effet, puisque leur existence n’est pas réelle.  C’est une fièvre, un délire, un péril certes mais fondé sur du vide dont il importe juste de se sortir par une droite pensée, un retour à la vision correcte des choses qui n’est que bon sens. Parle-t-on de rééducation lorsqu’on se contente de corriger une erreur ?

C’est ce qu’on appelle rester civilisé : débattre des idées mais ne pas s’abaisser à considérer les gens pour lesquels celles-ci entérinent, ou pas, un droit à exister.


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Ecrit 30 décembre 2023 par admin dans la catégorie "Actualité

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