septembre 17 2023

Mon grain de sable dans la machine à broyer l’EVRAS

Voici plusieurs jours que je rencontre sur Facebook l’expression d’inquiétudes au sujet de l’EVRAS. Je n’ai pas pour habitude de jouer au Don Quichotte contre toutes les paniques morales que je vois passer au quotidien car c’est un travail sans fin qui finit par te faire passer pour le chieur de service alors que tu aimerais juste garder un minimum l’esprit sain. Je vais néanmoins faire une exception pour celle-ci, parce qu’elle concerne ce qui se passe dans les écoles et que, en tant que prof, le climat de méfiance qu’elle engendre n’est pas pour me rassurer.

Evoluant dans une bulle de filtre plutôt policée, je n’ai pas été directement confronté aux rumeurs et élucubrations les plus trashs, assez ridicules pour se discréditer elles-mêmes. Je lis, par contre, que l’on nous mentirait sur la teneur exacte et l’étendue des « apprentissages » visés, que l’on a quand même le droit de poser des questions légitimes, qu’il est normal de s’inquiéter.

Loin de moi l’idée d’affirmer que nos gouvernements et médias sont transparents et démocratiques, que les décisions prises le sont toujours pour le bien du plus grand nombre, voire que ces dernières années n’ont pas été le théâtre d’un basculement autoritaire dans la manière de gouverner dont l’obtention du consentement se fait désormais davantage par le Nudge et la pression sociale que par le débat contradictoire et l’argumentation rationnelle.

Il serait cependant illusoire d’en déduire qu’il suffirait de s’opposer pour ne plus être manipulé. Face au désir de plus en plus criant de s’émanciper de ce mode de fonctionnement, toutes les solutions ne se valent pas et certains capitalisent sur notre méfiance légitime pour avancer leur propre agenda. Dès lors, il importe d’apprendre à ne pas s’arrêter au sentiment de défiance que nous inspirent tel journaliste, tel ministre, tel expert pour interroger directement nos craintes. Quel risque me fait-on courir ? Quelle forme concrète prend le danger que je soupçonne ? Comment est-ce que j’imagine que ça pourrait se mettre en œuvre ? Et est-ce que ça me parait crédible ?

En l’occurrence, face à l’EVRAS, je vois deux catégories de personnes.

La première croit vraiment que l’on va pratiquer et inculquer la pédophilie dans les écoles, diffuser du porno, apprendre les différentes pratiques sexuelles, pousser les enfants à se demander s’ils sont vraiment nés dans le bon genre, expliquer comment envoyer des photos et messages à caractère sexuel, … Deux questions me paraissent alors nécessaires à se poser : Dans quel but ? Et, par qui ?

La question de l’objectif poursuivi devrait déjà pouvoir calmer tout le monde, me semble-t-il. En effet, à moins de nous amener à un complot pédophile mondial, je ne vois pas bien où on va. Alors, il y a bien sûr plusieurs versions sur l’origine exacte du complot : soit les élites, comme si elles avaient besoin de cela pour abuser d’enfants et que l’argent et le pouvoir ne suffisaient pas déjà (oui, je pense aux amis d’Epstein, mais aussi au tourisme sexuel) ; soit la gauche qui depuis ‘68 voudrait satisfaire sa perversité sous couvert de libération sexuelle (version qui plaira aux hyper-réactionnaires, j’imagine) ; soit le lobby LGBT qui recruterait au plus jeune âge (vous reprendrez bien un peu d’homophobie), à condition de croire évidemment qu’il a réussi non seulement à infiltrer mais à être majoritaire dans les plus hautes instances de pouvoir.

La question des agents, professeurs et animateurs, qui mettront ce plan perturbant en place devrait également nous interpeller. Quels sont les bons petits soldats de ce plan diabolique ? Ont-ils été recruté pour l’occasion ? C’est quoi le CV pour obtenir le poste ? Un film porno maison ? Des images pédopornographiques inédites ? A moins qu’on ait directement fait son marché en prison ? Et après, les écoles leur livrent les enfants en pâture, dans un local fermé, sans qu’aucun enfant n’en parle jamais à l’extérieur ? Je rappelle que ces animations existent depuis une dizaine d’années. Mes propres enfants y ont eu droit. Alors quoi, EVRAS is the new Fight Club ?

Mais la nouveauté, parait-il, serait l’intégration de ce programme au tronc commun. Ce seraient, dès lors, l’ensemble des professeurs du maternel, du primaire et du secondaire qui entreraient comme un seul homme dans la combine pédophile. Faut vraiment que la propagande ait été bonne pour que des dizaines de milliers de belges, dont la plupart ont vécu le traumatisme de l’affaire Dutroux, obéissent sans broncher à ce genre de directive. Je sais que les syndicats ne sont pas toujours efficaces mais, là, ils ont vraiment loupé le coche !

Bref, j’espère avoir démontré que l’on ne peut faire partie de la première catégorie sans être explicitement complotiste, réactionnaire et homophobe. Passons à présent à la seconde catégorie, celle qui pose des questions, émets des craintes mais sans dire clairement lesquelles. Je serais tenté à nouveau de distinguer deux possibilités : soit, on se méfie en général des décisions politiques, mais il existent bien d’autres décisions problématiques qui ne font jamais parler d’elles et ils faudrait peut-être se demander pourquoi celle-ci cristallise autant les passions, soit  il y a malgré tout derrière cela la peur que l’on inculque aux enfants des notions dont on se méfie sur le genre et la sexualité et il serait alors bon d’interroger cette peur pour savoir en quoi cela constitue un danger à nos yeux.

Il importe, d’ailleurs, de ne pas être naïf sur les intérêts des personnes qui alimentent cette peur et s’y appuient pour légitimer une offensive politique et culturelle contre les droits et l’inclusion des personnes LGBT+. Ainsi, prétendre ne faire que poser des questions dans un contexte où plusieurs écoles ont déjà été incendiées, où les intervenants EVRAS peuvent légitimement ne pas se sentir en sécurité, où les amalgames nauséabonds ne peuvent qu’encourager des passages à l’acte violents envers une communauté marginalisée qui n’a déjà pas besoin de cela en temps normal, sans compter la couche de méfiance que cela ajoute aux relations déjà dégradées entre les parents et l’école, dont les enseignants sont les représentants, c’est un peu se voiler la face quant à son rôle de rouage dans une machine bien huilée. Il suffit de regarder la manière dont des campagnes en tout points similaires peuvent avoir eu lieu aux Etats-Unis, en France ou ailleurs pour s’en convaincre. La méthode et les arguments sont toujours les mêmes, les « questions légitimes » aussi.

Il n’est pas question ici pour moi de vouloir censurer la parole de quiconque par amalgame infâmant aux actes commis par d’autres mais d’inciter à la fois à prendre conscience que personne ne vit et ne parle en vase clos, encore moins lorsque l’on partage sur les réseaux sociaux, et que crier au loup au moment où se diffuse une panique au loup pédophile en prétendant que personne n’y verra une confirmation de ses angoisses est a minima très naïf, et à se renseigner sur les campagnes similaires qui se sont déroulées ailleurs afin d’identifier plus rapidement les tentatives de manipulation et de déstabilisation lorsqu’elles tentent d’infiltrer notre propre population.

Loin de moi aussi l’idée de dire que ce programme et sa mise en œuvre seraient incritiquables. Comme toute œuvre humaine, elle est sûrement très imparfaite. En la décrivant, cependant, comme une arme idéologique, libérale progressiste, plutôt que comme un outil de prévention visant à limiter les abus et le mal-être qu’ils génèrent, on laisse entendre que l’on endoctrinerait tous les enfants contre l’avis de leurs parents, ce qui serait évidemment très problématique. Si l’on mettait de côté le fait que croire cela supposerait que le corps enseignant dans son ensemble adhèrerait à cette même idéologie, ce qui, ayant un peu côtoyé les salles de profs, me parait mal barré, cette crainte pourrait être entendue. De fait, l’école n’a pas à prendre parti quant aux valeurs morales et politiques que les familles inculquent à leurs enfants, pas plus que face à la religion. Or, il me semble, précisément, qu’au même titre que la laïcité sert de cadre officiel devant permettre à chacun de cohabiter en paix, l’élaboration d’un socle commun de respect des limites et d’acceptation des différences constitue une condition nécessaire pour continuer à vivre ensemble dans une société aussi plurielle que la nôtre.

Sous couvert de refuser l’endoctrinement, même en mettant de côté ce que ce mot sous-entend souvent en termes de diffusion d’une soi-disant idéologie LGBT ou du Genre qui contaminerait les esprits influençables des plus jeunes, rejeter cette base commune revient en réalité à exiger de favoriser une manière de vivre et de penser au dépend de toutes les autres. Alors, oui, libre à vous de penser qu’être homosexuel ou transgenre est « anormal », « contre nature », et de vouloir que vos enfants pensent comme vous mais, à l’école, ils devront apprendre à respecter tout le monde. Et non, ce respect ne constitue pas une persécution de vos croyances, c’est les laisser s’exprimer librement dans un espace commun qui serait une atteinte à l’intégrité morale des personnes qu’elles visent. C’est un coup dur, je sais ! J’espère que vous vous en remettrez.

Enfin, et je terminerai par là, en règle générale, lorsque nous posons des questions ou exprimons notre inquiétude, il existe un moyen très simple pour éviter les procès en complotisme : expliquer précisément où se situe le problème et ce que ça risque de provoquer comme conséquences néfastes. Eviter les allusions vagues comme autoritarisme ou censure et préciser ce qu’on nous impose, ce que l’on ne pourra plus dire et par quels moyens. Au pire, on pourra en constater la pertinence et constituer une force d’opposition populaire suffisamment puissante pour l’éviter, au mieux quelques informations complémentaires suffiront à balayer nos craintes. A moins, bien sûr, de prendre conscience par nous-mêmes, en questionnant nos croyances qu’il y avait bien, en arrière-fond, un imaginaire un peu rance… Dans tous les cas, on ne pourra collectivement qu’en sortir grandi.


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Ecrit 17 septembre 2023 par admin dans la catégorie "Actualité

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