octobre 11 2020

Coronavirus : Pourquoi cette gestion de crise me pose problème et pourquoi elle devrait en poser à bien plus de personnes qui se disent raisonnables

Plus la crise sanitaire que nous vivons actuellement perdure et plus les positions sur le sujet se polarisent entre ceux qui estiment que les risques encourus ne méritent pas autant de sacrifices et ceux qui disent au contraire que les efforts concédés ne sont pas bien grands en comparaison des vies sauvées. Les premiers reprochent aux seconds leur manque d’esprit critique face à des chiffres officiels contestables et manipulables tandis que ces derniers les présentent comme des irresponsables privilégiant un confort de vie égoïste à une solidarité consciente de l’impact des comportements des uns sur tous les autres.
Pourtant ce face-à-face, qui se rejoue à l’infini partout où nous interagissons, n’a rien d’un désaccord politique, philosophique ou moral. Il s’explique parfaitement par deux paramètres, qui souvent se rejoignent : le degré de confiance dans nos institutions et les conditions de vie rendant la même mesure plus ou moins impactante. Que l’on puisse rester et recevoir chez soi, y trouver toutes les conditions du maintien de sa socialité ou pas, le sacrifice demandé n’est pas équivalent ; que l’on travaille dans un contexte permettant un respect constant des gestes barrières ou pas, les règles auront plus ou moins de sens ; que l’on subisse des pertes de revenu importantes ou pas, les exigences n’auront pas le même poids ; que l’on ait des raisons de s’inquiéter pour un proche ou pas, que ce soit parce qu’il fait partie des personnes à risque ou, au contraire, parce que les restrictions de soin liées à la crise mettent en péril une prise en charge optimale, les enjeux ne seront pas comparables.
Aussi, les appels à la raison, que ce soit au nom de la rationalité scientifique ou de l’attitude raisonnable, qui est forcément toujours la sienne, justifiée par sa propre situation, apparaissent aussi vains que discutables, tant ils ont au final pour fonction bien plus de désigner des coupables et de se féliciter d’être du bon côté que de contribuer à l’intelligence collective. Ce n’est donc pas au nom de la raison que je souhaite exprimer mes inquiétudes ici mais au nom de la politique, du projet de société que dessine, sans délibération aucune, le moment que nous vivons tous, obéissants comme désobéissants.

Que l’on soit d’accord ou pas, en effet, ce qui s’élabore en se moment, c’est une redéfinition de la notion de culpabilité dégagée de la charge de la preuve. L’Etat ne pouvant fournir les tests et les données de contaminations nécessaires à identifier efficacement les foyers de propagation du virus, c’est sur le non-respect des consignes que se portent tous les soupçons, puisque nous sommes tous des asymptomatiques en puissance. La désobéissance n’est pas une option, un levier politique pour des citoyens privés de parole, elle constitue une preuve, non seulement auprès des institutions, qui n’ont bien sûr pas vocation à l’autoriser, mais aussi sur la place publique, au regard des autres dont la diligence de certains, non seulement à montrer leur application consciencieuse des consignes mais à pointer du doigt ceux qui n’y mettraient pas le même entrain, a de quoi inquiéter.
Or, faire peser une telle charge sur les seuls individus, en faire à la fois la seule issue possible à la crise mais également les seuls coupables, bref en faire l’unique variable d’ajustement dans un « Jacques a dit » géant vis-à-vis duquel poser la question du consentement des participants constitue déjà une faute morale, n’est-ce pas faire abdiquer la délibération, le collectif, en un mot la démocratie, au profit d’un Etat omnipotent car omniscient, du moins en principe ?
Qui a décrété que la cellule familiale bourgeoise, disposant de l’espace et de la technologie nécessaire à la maison pour continuer à se divertir, travailler, se maintenir en bonne santé et recevoir des amis, serait la mesure de chaque nouvelle restriction ? Si l’on souhaitait s’assurer le respect le plus large des consignes au sein de la population, n’aurait-il pas fallu, au contraire, s’aligner sur ceux dont les conditions de vie sont les plus précaires ?
Qui a décidé de la hiérarchisation de nos activités, que l’école valait plus que le théâtre et le théâtre plus que le bistro, que les risques encourus au travail ou dans le bus étaient acceptables mais pas ceux pris en concert ou en réunion de famille ? Comment ne pas y voir l’arbitraire le plus complet et qui pourrait prétendre que cet arbitraire ne va pas se renforcer sur le terrain en instaurant des amendes de 250 euros pour des règles moins pensées pour être appliquées que pour pouvoir reporter la responsabilité politique de la gestion de la crise sur les individus ?
Avec la crise du coronavirus nous assistons à la même partition que l’on nous joue depuis des années à propos de la crise climatique : les Etats refusent de prendre leurs responsabilités, de forcer les entreprises à prendre les leur, et reportent sur les citoyens/consommateurs l’immense charge d’un problème trop large pour eux et face auquel ils ne peuvent que s’épuiser, s’accuser les uns les autres ou baisser les bras. La seule différence jusqu’ici, c’est que si tu baisses les bras tu risques de le payer cher. On ne rigole pas avec ça !


Étiquettes : , , ,

Ecrit 11 octobre 2020 par admin dans la catégorie "Actualité

Laisser un commentaire