décembre 23 2010

Fight Club et la singularité

Fight-Club

Notre héros vit dans un monde totalement factice, artificiel dans lequel définir son identité se résume à choisir le bon type de vaisselle. Comment dans ce cas ne pas être dépressif et insomniaque ? La seule solution, pitoyable, qu’il ait trouvée pour remédier à ce néant de l’existence, ce sont les groupes de parole car, comme il l’explique très bien : « Quand les gens croient que tu vas mourir, ils écoutent vraiment ce que tu dis ».

C’est alors que cette coquille vide, ce néant de la personnalité va rencontrer la figure charismatique par excellence : Tyler Durden. Tyler est non seulement bien foutu et doué au pieux, mais il est surtout libre, comme jamais l’insignifiance soumise et cynique de notre héros n’aurait pu l’imaginer. Sous son apprentissage, il va alors petit à petit se défaire de toutes les entraves, qu’il voyait comme des définitions de son être et qui n’en étaient que les raisons de son impossibilité.

Le chemin de cette initiation doit passer par la souffrance physique, car la négation du caractère violent de l’homme constitue le fondement de cette civilisation qui a fait de lui, comme de tant d’autres, un esclave. La première étape en est donc une réanimation de la volonté de puissance. Pourtant, il est intéressant de noter que ce choix de la violence porte en lui-même la tension qui nous occupe. Comment, en effet, envisager la douleur physique que s’infligent les personnages comme un révélateur de leur être véritable sans y voir dans le même mouvement un oubli de soi dans ce qui nous est le plus intime, notre chair ?

Cette déconstruction du caractère civilisé (hygiène, confort, fuite de la souffrance, politesse et règles sociales) du héros faite, deux chemins pouvaient s’offrir à lui : soit l’expression sans entrave de cette volonté de puissance individuelle, qui conduirait probablement à une nouvelle soumission de l’être à ses désirs, soit un tour plus politique, déniant aux individus la possibilité de se considérer comme exceptionnels et œuvrant pour une libération à plus grande échelle. Dans la démarche de Tyler, la seconde voie est la seule vraiment libératrice.

Pour notre héros, pourtant, l’emprise de plus en plus importante du groupe, du commando du projet « Chaos », sur son espace vital constitue une limite, qui sera clairement dépassée lors de la mort de l’un de ses membres. La dépersonnalisation et l’organisation « communiste » du projet deviendra alors un monstre dont il n’avait jusqu’ici deviné ni l’ampleur, ni la puissance et qu’il va devoir combattre de toutes ses forces, pouvant aller jusqu’au sacrifice.

Etre ou ne pas être exceptionnel, telle est donc la question. Entre un système social qui n’offre de possibilité d’expression que dans le geste de consommation et qui, à cette fin, exacerbe le sentiment de singularité, et une organisation rejetant cette affirmation personnelle des désirs, mais aussi de l’identité, dans le but de libérer les hommes de leurs entraves, le film n’apporte pas vraiment de réponse, quoiqu’il souligne la nécessité d’une troisième voie.

Peut-être la suggère-t-il cependant dans le rapport interpersonnel, la relation, la première véritable rencontre du film qui ne survient qu’à la fin : deux mains qui se prennent enfin et cette phrase : « Tu m’as rencontré à un moment très étrange de mon existence. »


Étiquettes : , ,

Ecrit 23 décembre 2010 par admin dans la catégorie "Fiction

Laisser un commentaire